Vers la conception collective de textes normatifs

3DD Espace de concertation • 21 septembre 2018
dans le groupe Recherche Ouverte

Par Antoine Burret pour le Centre Universitaire d'Informatique, Institut de cience des Services de l'Université de Genève.

 

Contexte général de la recherche

Cette recherche est le premier volet d’une recherche plus générale et qui poursuit mes précédents travaux sur les tiers-lieux (Burret 2017, 2018).. Elle est une collaboration entre le département du territoire et le Centre Universitaire Informatique de l’Université de Genève. Elle se déroule sur une période de 10 mois à cheval entre les années 2018 et 2019. Elle s’inscrit dans le domaine de la science des services qui est considéré ici comme un vecteur pour comprendre les systèmes et les comportements humains à l’aide du digital. La science des services est une science multidisciplinaire qui fait appel à plusieurs types de raisonnement. Elle n’est pas qu’une science de l’informatique. Elle fait aussi appel aux sciences de l’ingénieur, aux sciences économiques, aux sciences de la conception, au management, au droit, à la sociologie à l’anthropologie, etc.

La finalité de la science des services n’est pas la rédaction d’article, mais la conception et la production artificielle de phénomènes sociaux à l’aide du digital. C’est-à-dire pour faire court la conception de service propulsé par des ordinateurs. L’article scientifique vient expliquer et justifier le service.

Pour une définition du service voir les définitions de Jean Gadrey, (2003) « La tertiarisation des activités », de Peter Hill, (1977) ou d’André Barcet, (1987). Jim Spohrer qui peut être considéré comme l’initiateur de la science des services ne s’embarrasse pas d’une définition unique. Aussi et de manière inattendue et avec une acuité saisissante Edmont Goblot.

Dans ce contexte temporel et disciplinaire, l’intention de cette recherche est de formaliser les premiers éléments de conception d’un service informationnel qui permettent de répondre la question qui suit.

 

Point de départ de la recherche

Comment des personnes (physiques ou morales) hétérogènes sans de relations contractuelles ni de relations de subordinations parviennent-elles à prendre collectivement des décisions pour concevoir une représentation commune, dont chacun est prêt à répondre personnellement devant ses semblables ? Il a semblé que cette question était celle posée par les situations de concertation pour l’élaboration de Plan Localisé de Quartier (PLQ) dans le canton de Genève

Dès lors, le postulat a été que l’étude des comportements, des mécanismes et des processus actuellement en vigueur dans ses situations de concertations pouvait donner des informations pour créer de nouvelles connaissances sur cette typologie de situation de décision collective. De fait, ces informations devaient être les premiers éléments pour permettre de concevoir des services informationnels.

En synthèse, il s’agissait d’étudier :

  • Le travail législatif ayant permis d’aboutir à la loi de 2015 sur l’obligation légale de concertation.
  • Les documents d’archives préservés par le DT pour les SC qui se sont tenues entre 2015 et 2018.
  • Ainsi que plusieurs situations de concertation en cours : De recueillir des informations par l’observation méthodique de ces situations avec les outils méthodologiques de la sociologie et de l’anthropologie, d’observer la manière dont se déroulent les situations en se concentrant uniquement sur les descriptions, sans rechercher des cadres explicatifs ; de rapporter minutieusement les faits, les déplacements, les errements, les hésitations, les conflits qui se produisent pendant les situations

L’ensemble des informations recueillies devait être classé et stocké dans une banque de connaissance. En étudiant les récurrences, cela devait servir de base informationnelle pour modéliser de manière dynamique (avec des systèmes multiagent) les concertations.

 

Mouvement de la recherche

J’ai donc commencé par faire une large revue de littérature sur la décision collective, sur les formats de prises de décision collective et sur les services digitaux qui s’attaquent à cette problématique (que l’on peut regrouper dans les mal-nommés civic tech). J’ai ensuite ausculté les textes législatifs et les mémoriaux du grand conseil pour comprendre ce que le terme de concertation dans le contexte de l’élaboration de PLQ dans le canton de Genève signifiait. En parallèle, j’ai eu accès aux archives complètes des PLQ approuvés par le Conseil D’État depuis 2015.

Et très rapidement, il est apparu qu’étudier les situations de concertation sous l’angle de la décision collective était une fausse route :

D’une part, la question de la décision collective est déjà largement étudiée et se confronte très rapidement à des limites qui sont d’ordre logique. En synthèse, il n’existe pas des systèmes de choix social assurant la représentativité/l’approbation de tous : voir les paradoxes d’Arrow, paradoxe de Condorcet. Même les services dans leurs grandes inventivités se retrouvent confrontés à ces limites. Ils favorisent la discussion, le débat, la délibération, l’expression libre de tous, mais se retrouvent à chaque fois confrontés à la question du choix.

Car poser la question de la décision collective implique que les personnes soient amenées à faire des choix, qu’il y ai délibération voir vote et que d’une manière ou d’une autre, il existe un vainqueur à la fin. Or, dans le cas des PLQ, la possibilité permanente de recours suppose d’une manière ou d’une autre une acceptation de tous sur le plan. A priori, il ne peut pas y avoir des vainqueurs et des vaincus. Toutes les personnes impliquées, dans leurs grandes diversités d’intérêts et de culture, sont supposées être solidaires de l’objet final.

J’ai dû reformuler ma question et ce mouvement a ouvert une voie parfaitement importante. C’est la question de la conception collective : comment des personnes (physiques ou morales) hétérogènes sans de relations contractuelles, ni de relations de subordinations parviennent à concevoir collectivement une représentation commune ? En l’occurrence, une représentation commune qui est un PLQ. Mais se peut-être tout à fait autre chose. Une recette de cuisine, un service informatique, un texte de loi, ou n’importe quel autre artefact pour reprendre les termes de Herbert Simon.

Cette problématique est très importante, au niveau scientifique, car elle demeure très peu étudiée. Au niveau des services, car c’est le coeur même du fonctionnement des principaux services sur lequel l’informatique fonctionne : Linux, github, voir wikipedia etc. Une des rares études sur le sujet se situe dans le domaine de l’urbanisme avec les travaux de Nadia Arab. Chose intéressante, dans ces travaux, Nadia Arab cite en permanence des auteurs tels que Herbert Simon ou d’autres personnes ayant étudié les systèmes de conception de logiciel, pourtant la place de l’informatique dans ses recherches et au mieux anecdotique.

 

Premières hypothèses

Pour répondre à cette question, l’enjeu a été de déterminer :

  1. Quel est l’artefact qui est élaboré pendant les concertations ?
  2. Quel est son processus d’élaboration ?

Factuellement, l’artefact qui fait l’objet des concertations et sur lequel statue le Conseil d’État est un ensemble de documents : un règlement, un plan. Deux autres documents sont à fournir : un rapport explicatif, qui explique la démarche et un concept énergétique territorial. Ces deux derniers documents ne font pas l’objet de concertation. Selon le rapport final qui présente la Réforme de la pratique des PLQ en 2015

  • Le règlement : le règlement du PLQ contient uniquement les règles pertinentes à ce stade de planification et/ou juridiquement nécessaires, formulées de manière à prêter le moins possible à interprétation. Le règlement comprend les règles écrites qui ne peuvent pas être représentées spatialement ou celles qui précisent les éléments indiqués en plan.
  • Le plan : le plan du PLQ contient uniquement les éléments localisables pertinents à ce stade et/ou juridiquement nécessaires, dessinés de manière à rester opérants dans la longue durée. Le plan illustre graphiquement la traduction réglementaire ainsi que les éléments indispensables à sa compréhension. Les éléments de contenu du plan sont généralement précisés dans le règlement l’accompagnant


Pour le moment, j’ai focalisé mon attention sur le règlement. En effet, mon hypothèse est qu’il est possible de créer un service qui permette de concevoir collectivement le texte normatif qu’est le règlement des PLQ. Si l’on prend une large focale, l’hypothèse est que par le service, il est possible de créer les conditions pour permettre aux personnes de participer concrètement et collectivement à la rédaction de tout texte normatif.

 

Le modèle du règlement

Le règlement du PLQ est élaboré à partir d’un sommaire type. Ce sommaire délimite les contraintes du plan. Ces contraintes proviennent en partie d’éléments prescrits par le Plan Directeur Cantonal. Il comprend plusieurs chapitres et des articles. Il présente des règles et prête dans ce sens le moins possible à interprétation. Le verbe devoir est utilisé, car c’est un document prescriptif.

En tant que modèle, un nombre considérable de parties est déjà pré rempli. À de nombreux endroits des espaces précis doivent être complétés par des éléments quantitatifs prédéterminés par des XXX. Des éléments qualitatifs sont également ajoutés pour donner des précisions.

On peut le voir sur le PLQ de la Cité International des Grand Morillon, du Quartier Le rollier à Plan les Ouates ou de PréCartelier

 

Qui écrit ?

A priori, c’est l’urbaniste qui est chargé de rédiger le règlement. Il doit faire la synthèse entre toutes les contraintes et tous les interlocuteurs. Selon le rapport final :

 La nature même de l’urbanisme est interdisciplinaire, le rôle d’un urbaniste consiste en effet toujours – lors de l’élaboration d’un projet urbain – à réaliser une synthèse spatialisée de toutes les politiques publiques concernées. Lorsqu’un certain niveau de complexité est atteint, la coproduction avec des spécialistes de chaque politique publique devient nécessaire. 

 

Comment est écrit le Règlement ?

J’ai parcouru en détail l’ensemble des archives et des documents répertorier les 3 quartiers. En étudiant l’arborescence du SI de la cité international donne ça,haque projet est totalement différent et pour le moment je ne parviens pas à trouver de récurrence relevante.

L’urbaniste suit les 3 phases : Opportunité – Elaboration - formelle

Les phases de concertation sont assez différentes en fonction des projets, comme on peut le voir dans les rapports explicatifs notamment

J’ai encore peu d’information sur le processus formel d’écriture. Les seuls éléments en ma possession me font croire à un aller-retour sur un document Word. Un document hachuré avec des commentaires et de rectifications.

Mais qui contribue ? Quelle est la possibilité d’interventions, de commentaires, d’amélioration ? Quel est l’historique ? Quel croisement de données entre les différents PLQ ?

 

Derniers éléments

Échange par mail : 2018.08.29 – GDMS – Idée service

« Projet service concertation dédié pour les lois (voir les norms ISO, etc).

But: écrire un document de loi cohérent.  Service:

  • Coeur: un service de type wiki pour écrire un texte en mode collectif
  • Briques supplémentaires :
  • Cohérence du texte de loi à travers les différents points
  • Possibilité de commenter des points de loi
  • Faire le lien entre les commentaires et le contenu (p.e. pas encore pris en compte, ajoute des incohérences …)
  • Visualisation des commentaires pour voir les threads de commentaires
  • Visualiser l’historique d’écriture du texte
  • Isoler / identifier les controverses et les lieux de négociation
  • Système de notation – voir stack overflow – forum de discussion avec notation
  • Besoin : connaissance NLP, Juristes, Méthodes et convention légistique.
  • Développer le service progressivement. »

 

Prochaines étapes

Cette recherche est multidisciplinaire. Des designers, des juristes, des urbanistes, des développeurs, des sociologues, etc. sont amenés à collaborer dessus. À partir du mois d’octobre, je vais une fois par semaine, à priori le soir à partir de 18h ici au 3DD, proposer de travailler sur cette recherche avec qui le souhaite. Les personnes intéressées peuvent me contacter : sur antoine.burret @ unige. ch

 

Présentation


Atoine Burret

Antoine Burret. Crédit Photo : Alain Renk

 

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