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Une tête du réseau entretien avec Guillermina Ceci

3DD Animation • 23 août 2021

Une tête du réseau

Entretien avec Guillermina Ceci, architecte-urbaniste chez urbaplan

 

 

Pour vous, la participation citoyenne, en une phrase, c’est…

 

Un pilier de la transition écologique. En faisant interagir et échanger plusieurs acteurs, on peut vraiment croiser les visions et les enjeux. Non pas réfléchir en silos, mais collectivement, pour co-construire le territoire. C’est cela dont on a besoin pour faire face à la transition.

 

Un des piliers de la transition écologique

 

Comment y êtes vous venue et ce que vous faites concrêtement aujourd'hui?

 

Je suis arrivée à la participation dans le cadre de mes activités à urbaplan. Une fois que l’on travaille à une échelle qui va au-delà de celle du bâtiment, il faut aller à la rencontre des gens pour faire émerger une vision partagée. On dit toujours, même si ce n’est pas nous qui avons inventé cette expression, qu’on fait la ville avec les gens et pas pour les gens. En arrivant à urbaplan, j’ai eu l’occasion de mettre en pratique ce que j’avais déjà expérimenté au plan personnel, en prenant part à des projets participatifs, en m’investissant dans des collectifs avant d’arriver en Suisse, en Argentine, au Mexique, en Italie... Et là tout d’un coup, j‘ai pu concevoir et animer des démarches et c’est quelque chose qui m’a tout de suite passionnée.

 

Tout d’un coup, je me suis retrouvée à préparer ces démarches et c’est quelque chose qui m’a tout de suite passionnée

Ici, on a l’occasion de répondre à une diversité de sollicitations, de situations. Par exemple pour repenser une stratégie au niveau territorial, pour enclencher un processus en vue d’un concours d’idées pour l’évolution d’un secteur ou d’une parcelle. On intègre la participation à des projets d'urbanisme, mais on intervient aussi pour concevoir et animer des processus participatifs pour des projets confiés à d'autres. Notre travail est de comprendre quels sont les objectifs du maître d’ouvrage et de déterminer la meilleure manière d’y répondre, avec tous les acteurs concernés. On s’appuie sur le tissu local, on identifie les acteurs qui ont un intérêt sur le secteur : associations, organisations mais aussi des habitants ou des voisins à titre individuel, qui ont la connaissance du quartier. On est flexibles et créatifs pour amener des réponses spécifiques à chaque maître d’ouvrage. On conçoit un déroulé, qui identifie les moments clés et les questions à débattre, avec qui, pour que cela permette de faire émerger ou évoluer le projet. En intégrant la participation en amont, on peut ouvrir la gamme des réponses possibles. Un processus participatif bien mené amène une réelle plus-value aux projets et aux participants qui en sortent tous enrichis par la confrontation des idées, des rêves et des solutions !

 

L’intérêt des démarches participatives et coopératives quand vous pensez au futur de la région genevoise...

 

La participation contribue à cette approche holistique dont je parlais au début, le fait de construire ensemble, de tirer parti de l’intelligence collective, de mobiliser la diversité des expertises et des expériences. Cela permet d’aborder un projet dans toutes ses dimensions : sociales, environnementales, économiques, techniques, etc. On peut avoir des réponses en termes d’action, de gouvernance, d’aménagement. Tous les acteurs peuvent apporter des visions contrastées et réfléchir ensemble, d’abord pour construire des objectifs communs et ça c’est vraiment une plus-value pour la construction de la ville.

Ce qui est très intéressant dans la région genevoise, c’est qu’on est dans un territoire réduit avec des enjeux majeurs et des intérêts contrastés au niveau paysage, nature, économie, politique. Il y une concentration d’acteurs et aussi une volonté, une pratique de la participation qui commence à s’établir. C’est l’endroit idéal pour faire face aux enjeux de la transition écologique. On aborde souvent la transition comme quelque chose de négatif, qui va nous limiter dans nos modes de vie, qui implique de renoncer à notre confort. Mais en considérant la participation comme un des piliers de la transition, on a la chance de s’engager à la définition de notre cadre de vie et d’aborder toutes les problématiques collectivement et autrement. La région, par sa taille, ses enjeux et sa complexité, et le fait qu’on soit obligés de réfléchir avec un autre pays dans un espace transfrontalier, représente un laboratoire incroyable.

 

La région, par sa taille, ses enjeux et sa complexité, et le fait qu’on soit obligés de réfléchir avec un autre pays dans un espace frontalier, représente un laboratoire incroyable

 

Une démarche particulièrement réussie d'après vous et pourquoi?

 

Le projet que l’on a mené avec la CODHA* à Versoix cette année, qui m’a bouleversée et que nous allons présenter dans le cadre de la Quinzaine de l’Urbanisme. La coopérative d’habitat vient nous chercher pour un processus de co-construction d’un quartier de 80 logements à Versoix, en proposant que la parole des futurs habitants soit prise en compte dès le début, dès la construction du cahier des charges. Un autre élément novateur est qu'ils souhaitent ne pas mettre en concurrence les quatre bureaux d’architecture sélectionnés, mais de les faire travailler en intelligence collective. Elle nous a donné carte blanche pour construire ce processus, auquel on a intégré d’autres acteurs clés avec le but de construire une vision commune sur ce lieu. A chaque étape, on a été amenés à recadrer, réajuster la méthode pour atteindre les objectifs.

 

On a prouvé qu’il n’y a pas de limites aux questions techniques que l'on peut poser

On a prouvé qu’il n’y a pas de limites aux questions techniques que l’on peut poser dans un groupe si on travaille en toute transparence et avec des outils et dispositifs adaptés. On avait autour de la table : les futurs habitants, des voisins, les bureaux d’architecture, un bureau de paysagistes, le maître d’ouvrage, les services techniques de l’Etat et de la commune, des élus. On a travaillé, en faisant l’effort de construire un vocabulaire commun qui met tout le monde au même niveau de façon à ce que toutes et tous se sentent capables de contribuer aux discussions. On a réussi à ce que tout le monde puisse se prononcer jusqu’à l’échelle typologique (c’est-à-dire la manière dont sont organisés les logements, la relation entre les espaces privés et les communs, le degré de flexibilité à l’intérieur de l’appartement, la relation entre les pièces...des questions qui sont très pointues et sont d’habitude laissées à l’architecte). On voit dans les synthèses, comment les habitants et les voisins, qui au début étaient très en retrait sur ces discussions, ont apporté un input aux architectes, au travers d’exercices qui sont à la fois ludiques et très sérieux.

 

Ces processus, s'ils sont bien ficelés, peuvent vraiment faire évoluer les pratiques de l'aménagement

L’autre apport majeur de ce projet, c’est de montrer comment, si ces processus sont bien organisés avec l’Etat et les communes, ils peuvent faire évoluer les pratiques de l’aménagement. On était censés faire un PLQ** pour ce projet, ce qui ne sera pas nécessaire; on a pu déroger aux gabarits maximums et aux exigences en places de stationnement. On a des préavis positifs des différentes instances politiques et administratives. Sans un processus participatif, sans cette réflexion en amont du projet, on aurait eu une distribution du bâti en quatre barres parallèles, dans le respect du règlement en vigueur. Alors que là, on a pu développer un projet qui s’insère très délicatement dans le site (une parcelle richement arborée), tisse des liens avec le quartier et répond aux aspirations de tous les participants.

 

Un défi que vous êtes prête à prendre à bras le corps pour pouvoir aller plus loin que ce qui se fait déjà en matière de participation des habitants ou de coopération inter-acteurs?

 

Que la participation soit la base de toute réflexion

Que la participation soit à la base de toute réflexion, qu'elle ne soit pas quelque chose qui vient après, quelque chose que l’on puisse choisir ou pas: la ville est à tous et toutes. Parfois, quand on répond à certaines demandes, la participation ne fait pas partie de la commande. Nous essayons toujours de l’intégrer, parce que c’est notre manière d’aborder le projet, tout en assurant au maître d'ouvrage que leur objectif final va être atteint.

Parfois, les gens sont intéressés mais ne comprennent pas la contribution majeure que cela peut apporter quant à la qualité du projet, en termes de gouvernance, d’action, l’ouverture que la participation amène. C’est la vision et la posture du bureau de proposer des démarches qui intègrent la diversité des points de vue. C’est aussi une forme de militantisme ; on veut leur montrer qu'en faisant de la co-construction, on ne perd pas de marges de manœuvre, mais au contraire, on gagne en ressources et en opportunités.

 

En faisant de la co-construction, on ne perd pas de marges de manœuvre mais au contraire, on gagne en ressources et en opportunités

C’est ça qui est important pour moi, de rester flexible pour montrer la contribution capitale de cette approche pour aborder tous les sujets.

 

Un point sur lequel vous êtes plus critique?

 

On ne considère pas toujours le temps et les ressources nécessaires pour faire de la participation. On a eu de la chance avec la CODHA car cela fait partie de leur charte, de leur manière d'aborder le développement des projets. Mais tout le monde ne comprend pas sa plus-value et la capacité d'enrichir un projet. Je pense que c’est très important que la participation prenne une vraie place dans les projets, en termes d'investissement, de temps et pour identifier la marge de manœuvre qui existe à différents niveaux pour qu’on puisse vraiment la vivre à 100%.

 

Et du coup, la mise en place du 3DD, c’est l’occasion rêvée de…

 

Offrir un lieu permettant la rencontre entre les services de l’Etat et la population. L’Etat ouvre une porte à la population à travers cet espace, c’est une manière d’investir dans cette évolution vers la participation comme mode de faire. D’une part, il y a la dimension numérique du 3DD, la mise en réseau d’acteurs. D’une autre, c’est le fait de mettre à disposition un espace de qualité au pied de l’Office d’Urbanisme, où il y a toutes ces personnes qui travaillent pour construire le territoire... c’est symboliquement très fort. Pour moi, la mise en place du 3DD, c’est l’occasion rêvée de concrétiser physiquement le fait que l’Etat dit, allons-y, venez construire le territoire avec nous! Cela est aussi un message fort pour les personnes qui travaillent à l’Etat… C’est une promotion très bienveillante de la participation par la mise à disposition de ressources.

 

Une promotion très bienveillante de la participation par la mise à disposition de ressources

Un petit mot de la fin aux acteurs et actrices du réseau

 

Rencontrons-nous! Le 3DD c’est l’occasion de rencontrer des gens qui font de la participation depuis de multiples angles de vue, et de pouvoir partager des expériences. C'est à nous, les convaincus de la participation de se rencontrer pour être plus forts et fédérer l’ensemble des partenaires.

 

Rencontrons-nous!

 

Guillermina Ceci est architecte-urbaniste chez urbaplan sa. Actif dans l’aménagement du territoire, le projet urbain, le paysage et l’environnement, le bureau urbaplan intègre la participation comme un moment privilégié pour enrichir la lecture d’un lieu et des ses usages et construire collectivement une vision partagée. Avant de travailler à Genève, Guillermina a travaillé dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud, ainsi que dans plusieurs pays.

Contact: g.ceci@urbaplan.ch

Pour en savoir plus sur le processus de la CODHA à Versoix:

https://www.codha.ch/fr/projets-en-cours?id=33

https://3ddge.ch/html/node/2094

 

 

* La CODHA est une coopérative d’habitat.
** Les plans localisés de quartier (PLQ) sont des plans d'affectation du sol qui précisent les conditions permettant la réalisation de nouvelles constructions. Ils portent notamment sur la volumétrie (nombre d'étages, emprise au sol) et l'affectation de chaque bâtiment projeté, les accès, le stationnement, l'usage du sol, les servitudes et cessions demandées, etc.