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Une tête du réseau : entretien avec Christine Meyerhans

3DD Animation • 18 janvier 2022

Une tête du réseau

Entretien avec Christine Meyerhans, intervenante en action sociale communautaire à la Ville de Meyrin

 

 

Pour vous, la participation citoyenne, en une phrase, c’est…

 

Offrir la possibilité à des habitants ou à des acteurs concernés d’influencer une démarche, une décision ou un projet qui les concernent directement, tout en ayant une vision de la globalité. C’est une définition simple et ambitieuse, dont la mise en œuvre est complexe et rarement appliquée jusqu’au bout.

 

Offrir la possibilité à des habitants ou à des acteurs concernés d’influencer une démarche, une décision ou un projet qui les concernent

 

Comment y êtes vous venue et ce que vous faites concrêtement aujourd'hui?

 

Je viens du monde de la coopération au développement. J’ai vécu à l’étranger, puis ai suivi des projets de développement depuis ici. Ces projets étaient élaborés, déployés et évalués par les populations locales, dans une posture de partage d’expertises. Lors de mes études en travail social, je trouvais qu’on était en retard sur les façons d’impliquer les acteurs concernés dans l’action sociale telle que pratiquée à Genève. Puis, en 2004, suite à une nouvelle législation cantonale qui déléguait aux communes l’exercice de l’action sociale communautaire, des offres d’emplois dans ce domaine sont apparues, j’y ai vu des parallèles intéressants et du coup j’ai postulé. Les objectifs de l’action communautaire sont le renforcement des lieux sociaux et le traitement de problématiques sociales à partir d’une lecture collective. Elle met en œuvre des actions portées avec et par les acteurs concernés..

 

La posture, c’est d’être convaincue que l’autre possède des savoirs et des capacités

L’action sociale communautaire est à la fois une philosophie, une posture, des valeurs et une méthodologie. La posture c’est d’être convaincue que l’autre possède des savoirs et des capacités. Notre travail est de créer des conditions et des contextes qui permettent aux gens de déployer ces capacités, de faire des choses selon leurs envies et besoins dans un intérêt collectif. Nous favorisons l’émergence d’actions et de projets, puis, si besoin, nous les accompagnons dans leur développement. L’organisation d’un repas, d’une fête de quartier, la participation en elle-même sont des prétextes pour créer du lien social et viser le mieux vivre ensemble. Chez Gilberte – la maison meyrinoise, où se trouve mon bureau, est un espace qui permet cela. On y accueille toute personne avec une demande spécifique ou pas. Les gens y viennent pour l’espace informatique, pour l’espace parent-enfant, pour l’écrivaine publique ou simplement pour boire un café et rencontrer d’autres habitants. On crée les conditions pour que les gens s’y sentent bien. Si tu t‘y sens bien, tu as peut-être envie de revenir, si tu reviens, tu vas peut-être socialiser avec d’autres, si tu te mets en lien, peut-être que ces liens vont se fortifier et exister en-dehors du lieu. C’est ce que nous constatons au quotidien.

 

Ce qui m’intéresse, c’est le fait qu’il y ait un objet ou une raison « prétexte » dans un quartier, qui permette d’aller rencontrer des habitants et de les inviter à participer

Je travaille aussi au soutien à l’émergence de projets sur le territoire meyrinois portés par des habitants, collectifs ou associations locales. Cela peut être une fête de quartier, une rénovation ou aménagement de place de jeux, la création de potagers urbains, toujours en collaboration avec divers autres services communaux.

Ce qui m’intéresse, c’est le fait qu’il y ait un objet ou une raison « prétexte » dans un quartier qui permette d’aller rencontrer des habitants et de les inviter à participer. La participation se décline de manières très diverses, en fonction des objets ou projets, composition du groupe, temporalité, pouvoir décisionnel… Les démarches participatives font partie des pratiques de l’action sociale communautaire depuis longtemps. C’est un outil important de notre travail, dont les effets contribuent à l’intégration des personnes et à l’appropriation par les habitants de leur environnement proche. Notre visée est de donner ou redonner du pouvoir d’agir aux habitants.

 

Ce qui est important quand on organise une démarche participative selon vous...

 

Les démarches participatives sont intéressantes, si elles permettent réellement aux personnes d’influencer un processus de décision. Mais cela est bien complexe. Dans les réflexions préparatoires, lors des démarrages, au cours du processus, nous devrions régulièrement nous questionner et surtout oser l’humilité. Qui sont les gens qui font partie ou qui vont faire partie de la démarche ? Qui sont les parties prenantes et qui n’y est pas et pourquoi ? Et s’ils n’y sont pas est-ce qu’on va les chercher ou est-ce que justement cela nous arrange qu’ils n’y soient pas ? Qu’est-ce qui se joue entre les personnes, la place de chacun, chacune dans le groupe ? Qui défend quels intérêts ? Mais, ce qui me semble le plus important, c’est, en amont, de toujours bien poser le cadre de la participation, tant avec les professionnels avec lesquels tu travailles, qu’avec les gens qui vont participer. Quand on ne se met pas d’accord, en amont sur le cadre, il y a forte chance que les gens qui participent se sentent floués et toi aussi. Il est important de distinguer s’il s’agit d’informer, de consulter ou réellement de déléguer un pouvoir de négociation. On parle de quoi et quel est le périmètre sur lequel les participants peuvent avoir une influence, décider. Etre clair, même si le périmètre est restreint, cela évite des frustrations et déceptions et la perte d’habitants qui ne s’impliquerons plus à l’avenir.

 

Quand on ne se met pas d'accord en amont par rapport au cadre, les gens qui participent se sentent floués et toi aussi

 

... et ce qui fait qu'une démarche est un succès?

 

L’intérêt des rencontres entre les techniciens-experts et les habitants-experts, c’est l’apprentissage que chacun fait du domaine de l’autre. Parfois, il y a une croyance ou une crainte que les habitants sont les seuls experts légitimes. C’est aussi ça notre métier, faire dialoguer l’expert du quotidien qu’est l’habitant avec l’expertise du professionnel, qui lui ou elle, maîtrise les normes de sécurité, les normes juridiques, les implications en termes de coûts. Pour chacune des parties, il s’agit d’appréhender la complexité du monde de l’autre.

 

Alors c’est deux expertises qui vont se parler, se confronter et s’influencer et c’est là que ça devient très intéressant

Alors, c’est deux expertises qui vont se parler, se confronter et s’influencer et c’est là que ça devient intéressant. J’ai vu des maquettes d’habitantes, découpées dans des catalogues de jeux se transformer, par la négociation et l’apprentissage mutuel, en plan d’architecte bien différents que ceux initialement projetés par le professionnel. Puis, entendre ces habitantes expliquer à leur quartier les raisons de changements et adaptations. Mais pour moi, le vrai succès c’est les liens entre habitants qui restent après la réalisation d’une action ou d’un projet. Quand j’apprends que des participantes sont devenues amies, qu’ils se rendent des services, que telle personne a rejoint une association alors qu’elle était isolée. C’est tous les effets de « on m’a pris au sérieux à un moment donné et maintenant je me sens en capacité d’agir ».

 

C’est tous les effets de « on m’a pris au sérieux à un moment donné et maintenant je me sens en capacité d’agir »

 

Le plus grand défi selon vous?

 

Comment proposer aux gens les plus éloignés de la participation de participer ? C’est un défi quotidien, toujours se rappeler de ne pas se contenter des cinq ou six habitants qui sont là. Ceux qui ne sont pas là, ne le sont pas pour quelles raisons ? Dans des démarches participatives de quartiers, ceux qui râlent, sont souvent là, ceux qui militent dans des associations, aussi. Souvent il s’agit de personnes habituées à être en réunions, à prendre la parole en public. Mais les autres ? S’ils sont au courant et ils décident de ne pas participer c’est OK, mais avons-nous fait le nécessaire pour que le plus grand nombre soit au courant, ai compris, se sente légitime de venir ?

 

Beaucoup d’habitants ne se sentent pas autorisés à participer, parce qu’ils pensent ne pas avoir les compétences, ne se sentent pas concernés ou légitimes

Aller chercher les habitants d’origines différentes, parfois non francophones, se donner les moyens pour expliquer les enjeux, susciter l’intérêt, les amener à une séance… cela prend un temps et une énergie considérables. Beaucoup d’habitants ne se sentent pas autorisés à participer, parce qu’ils pensent ne pas avoir les compétences, ne se sentent pas concernés ou légitimes, n’osent pas. Il s’agit aussi de connaître certains codes, tel que ceux de la réunion. Ce ne sont pas des pratiques dans toutes les professions, ni dans toutes les cultures. Expliquer son point de vue, se confronter, de ne pas être d’accord, négocier, être concis, arriver à une décision… C’est ce que nous tentons de faire, aller vers les gens, tisser des liens, donner du sens au mot citoyen. Les petits objets, les petits actes de participation contribuent à la confiance en soi. Si tu participes à quelque chose de concret au sein de Chez Gilberte – la maison meyrinoise et bien pourquoi pas ensuite dans ton immeuble, puis dans ton quartier ou futur quartier.

 

Un point sur lequel vous êtes plus critique, ou perplexe?

 

Comment concerter à grande échelle, sur des projets de futurs quartiers dans le Grand Genève ? Si on propose des choses à la réalisation trop lointaines, abstraites, cela ne va concerner qu’une minorité qui arrive à se projeter. L’immensité et la complexité des contenus… Les tailles des futurs quartiers qui se construisent à Genève, c’est vertigineux. On est dans des dimensions qui ne sont pas à l’échelle de l’habitant et de sa réalité quotidienne et sur des procédures d’une telle ampleur et durée que je trouve difficile à appréhender. Et puis, où trouver la motivation pour m’impliquer sur un quartier qui n’existe pas encore et qui ne sera construit que dans 5 ou 10 ans ?

Dans mon contexte professionnel, j’ai pu travailler sur les démarches participatives proposées durant la construction et l’arrivée des habitants dans l’éco-quartier des Vergers. Il s’agit au total de 3’000 habitants. Au début, on a travaillé intensément, avec une partie des futurs habitants connus, puis avec les premiers arrivants. Nous avions le temps de faire le travail d’accueil, de lien, de présentation de l’existant et de créer des contextes permettant la participation. A fur à mesure que les bâtiments étaient livrés, les nouveaux habitants sont arrivés de plus en plus nombreux, à des échéances rapprochées. Nous ne pouvions plus faire la même chose…mais comment offrir le même accueil, les mêmes informations, les mêmes contextes de participation aux premiers, comme aux derniers arrivants ? Un défi qui reste encore d’actualité.

 

Quelles évolutions avez-vous pu constater ces dernières années?

 

A Meyrin, avec les années de travail commun sur des aménagements de petits espaces publics et surtout avec l’expérience des Vergers, il s’est développé une habitude de collaboration entre notre service développement social et emploi, le service d’urbanisme – travaux publics- énergie et le service de l’environnement. Les autorités politiques ont souhaité que les trois piliers d’un éco-quartier que sont l’économie, l’environnement et le social, soient investi avec la même attention.

Une fois le souhait formulé que « le social et l’urbanisme travaillent main dans la main », les services ont dû apprendre à travailler ensemble. Cela a voulu dire, appréhender la réalité professionnelle de l’autre, comprendre les exigences et limites de chaque champ, décoder son jargon, se mettre d’accord sur la définition de mots communs aux sens divers, tels que « démarche participative » surtout lorsque les temporalités sont très différentes.

 

Et du coup, la mise en place du 3DD, c’est l’occasion rêvée de…

 

Est-ce que ce ne serait pas l’occasion pour réfléchir à ce qui dans nos modes d’organisation produit des obstacles à la participation. Les administrations organisées en silo, nos manières de penser, les cultures professionnelles, les cadres légaux… Le 3DD pourrait être un lieu pour faire émerger ces obstacles et freins avec la diversité d’acteurs terrain de la participation, afin de tenter de bouger quelques lignes. C’est facile de dire « les habitants ne viennent pas » mais il y a déjà tellement de freins en amont d’une démarche participative.

 

C’est facile de dire « les habitants ne viennent pas » mais il y a déjà tellement de freins en amont d’une démarche participative

 

Un petit mot de la fin aux acteurs et actrices du réseau

 

Croisons nos regards et expériences et apprenons les uns et des autres.

 

 

Christine Meyerhans est intervenante en action sociale communautaire au service développement social et emploi de la Ville de Meyrin (26 000 habitants). Avant de travailler dans l’administration communale meyrinoise, elle a travaillé dans la coopération au développement et dans le domaine de la prévention santé.

Contact: christine.meyerhans@meyrin.ch

Pour en savoir plus:

L'écoquatier des Vergers: http://www.lesvergers-meyrin.ch

Article « Le rêve collectif se réalise à Meyrin » sur reiso.org

Chez Gilberte la maison meyrinoise: http://meyrin.ch/fr/chezgilberte

 

Cette ressource fait partie du dossier thématique Le pouvoir d'agir.