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Une tête du réseau : entretien avec Diego Rigamonti

3DD Animation • 24 août 2022

Une tête du réseau

Entretien avec Diego Rigamonti, chargé de projet pour la Ville de Vernier

 

Pour vous, la participation citoyenne, en une phrase, c’est…

 

Remettre l’humain au centre et favoriser des espaces de dialogue et d’échange constructifs.

 

Favoriser le bon sens en facilitant les échanges et la discussion

Ou, plus simplement : favoriser le bon sens en facilitant les échanges et la discussion. Notre société est face à des défis qui sont énormes : climatiques, énergétiques, écologiques… Par rapport à ça, il y une dimension pédagogique de la participation, qui peut ouvrir des espaces dans lesquels expliciter ces enjeux, pour pouvoir en discuter avec d’autres, comprendre d’autres points de vue, débattre… pour construire des visions partagées.

 

Comment y êtes-vous venu?

 

J’ai commencé à m’intéresser à la participation par hasard lors de ma formation de géographe-urbaniste. Pour mon mémoire de fin d’études, j’ai commencé à observer la plaine de Plainpalais à travers les méthodes de géographie classiques : observation, rayonnement du soleil, analyses diverses et variées… et au bout de deux semaines sur la plaine je me suis demandé ce que j’étais en train de faire. J’ai réalisé que ce que je voulais, c’était écouter les gens. A ce moment-là, j’ai commencé à interroger différentes personnes et à comprendre que c’était le sujet de la participation qui m’intéressait. Parfois on crée des espaces publics, qui dysfonctionnent et il faut réintervenir derrière, ce qui coûte des centaines de milliers de francs à la collectivité publique et aux citoyens. Et j’ai pu entendre dire « oui, mais là on réintervient parce que les habitants n’ont pas compris le concept de l’architecte ». Qui construit la ville et pour qui ?

 

Ce que vous faites aujourd’hui

 

Nous travaillons à différents niveaux de l’échelle de la participation

J’ai commencé à travailler pour la Ville de Vernier en 2020 pour monter le Café des Possibles dans le futur quartier de l’Etang. Nous sommes arrivés dans le quartier en même temps que les premiers habitants et habitantes, en 2021. Nous travaillons à différents niveaux de l’échelle de la participation. Notre première mission est d’abord une mission d’information et d’orientation, de relais vers les différents services de la commune. Le but est aussi d’offrir un espace pour favoriser la participation des habitants et des habitantes. Et d’imaginer avec eux ce que ce lieu pourrait être pour le quartier.

Pour l’instant, nous avons organisé des activités socio-culturelles pour les enfants, mis en place une bibliothèque d’objets, organisé des petits événements de quartier, porté une démarche de sensibilisation sur les consommations énergétiques (AMU nouveaux quartiers)… C’est de l’animation, mais aussi un moyen de commencer à créer du lien.

 

On ne peut pas forcer la participation mais on peut la faciliter en fonction des intérêts des gens

L’idée, c’est de titiller les habitants et habitantes. On ne peut pas forcer la participation mais on peut la faciliter en fonction des intérêts des gens. Ici, nous avons finalement quatre propositions : proposer des activités à travers le contrats de quartier, organiser des fêtes, participer à la conception d’un espace public, participer aux réflexions autour d’un espace socio-culturel. Ça peut intéresser, ou pas, on ne sait jamais, ce sont des possibilités d’implication dans la vie de quartier. Le temps nous dira comment les gens vont s’approprier ces propositions.

 

Quelle est votre vision de la participation? A quelles conditions peut-elle être une expérience réussie?

 

La participation selon moi, c’est une démarche à long terme. On s’imagine que faire de la participation, c’est très mécanique, qu’il s’agit «juste» d’organiser des séances. C’est un travail de longue haleine, d’aller-retours, de discussions et de partage, dans la durée. Il n’y a pas des moments forts et des moments faibles de la participation, c’est un discours de que je n’aime pas trop entendre. La participation elle est toujours présente, c’est une culture de travail. Tant en interne aux organisations que vis-à-vis des habitants et habitantes. On ne peut pas solliciter les gens quand on le souhaite.

Dans les concertations telles qu’elles sont organisées pour l’instant, on mobilise la population, c’est un travail très dur, puis il y a la restitution et on ne voit plus les gens. Des habitants nous ont dit un jour, lorsque j’intervenais pour un projet à l’étranger, «nous sommes les nouvelles souris de laboratoire». De nombreuses personnes viennent observer les quartier à rénover, des universitaires, des étudiants… Je comprends les gens qui au bout d’un certain moment en ont marre. Il faut créer et maintenir le lien avec eux dans la durée. Et pour cela, il faut avoir des acteurs, des personnes ressources…

 

Il n’y a pas des moments forts et des moments faibles de la participation

C’est là que la rencontre entre les mondes du travail social et de l’urbanisme se joue. Et pour chaque projet, c’est tout un travail de dynamisation, avec du travail communautaire, pour mobiliser les gens, par le biais parfois d’autres sujets. Ça peut être grâce à des activités de médiation culturelle, des apéros en pied d’immeuble, tout dépend du contexte, de qui et comment on veut impliquer… Le Café des Possibles est un lieu d’écoute. Cela permet d’être au contact de la population, de recueillir des éléments et de lancer différentes démarches. Il y a beaucoup de thèmes à traiter, la société est tellement complexe, que l’on pourrait lancer des démarches sur pleins de sujets : l’aménagement du territoire, le recyclage des déchets… Créer une intelligence collective, avoir des ambassadeurs qui vont aller mobiliser d’autres personnes, recueillir des inputs et après construire à partir de ça.

Pour autant, si on faire de la participation, il ne s’agit pas seulement de créer des espaces de discussion. C’est difficile d’ouvrir un espace pour encourager la participation si à la fin, on prend simplement ce qui nous convient parmi ce que les gens y proposent. On ne peut parler de processus participatif à ce niveau-là. C’est de la consultation et cela peut créer beaucoup de frustration, de démobilisation. Dans ce cas de figure, c’est beaucoup plus facile d’arriver avec une démarche transparente grâce à un cadre clair, en énonçant ce qu’il est possible de faire. Et c’est, selon moi, beaucoup plus participatif.

Dans un monde idéal, il faudrait arriver tôt, en amont d’un projet, il faut savoir et expliquer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Que chaque service se positionne, les services communaux et les offices cantonaux compétents, , la police, les services de l’eau… Comme ça, on connait les lignes rouges. Plutôt que de faire réfléchir les gens dans le vide ou dans un cadre trop large. Après, en fonction des inputs des participants nous prenons connaissance des lignes rouges, que l’on peut éventuellement chercher à faire bouger, mais qu’on les a identifiées. On convoquera ainsi le service compétent pour en discuter en intelligence collective.

 

Quand vous pensez au futur, quels défis, quelles évolutions anticipez-vous?

 

Pour moi, les démarches participatives sont une opportunité pour les administrations publiques d’être challengées. Il existe déjà une intelligence collective, une intelligence de terrain. Le défi, c’est de réussir à mieux prendre en compte ces apports qui viennent du bas, que ce soit à l’interne de l’administration ou de la part des habitantes et habitants. Dans l’aménagement, il faut voir comment mieux réceptionner ces inputs pour corriger les effets d’usage. C’est un challenge, mais aussi une chance pour les politiques publiques, ça permet d’avoir d’autres regards et de s’interroger. Si l’administration instruit la suggestion d’un groupe d’habitants et habitantes, elle peut toujours en fin de course dire non et expliquer que c’est pour telle ou telle raison. Cette dimension pédagogique vis-à-vis de la politique publique est très importante. En expliquant, on redonne du souffle à la démocratie.

L’échelle de la ville est la bonne pour refaire démocratie et vivre ensemble. La participation crée une interconnaissance bienvenue entre les services communaux et les habitants et les habitantes. Les fêtes de quartier de La Ville est à Vous à Genève par exemple ont une dimension pédagogique. Les associations d’habitants, en organisant la fête sur l’espace public avec l’aide de l’équipe de la Ville est à Vous, découvrent les rôles, le fonctionnement, les contraintes des différents services de la Ville et du canton (la propreté, les autorisations d’occupation du domaine publique, la voirie, les espaces verts…).

Je pense que l’administration publique va évoluer dans ses manières de faire. Pour l’instant, les administrations publiques travaillent avec des mandataires, elles sont dans un processus d’apprentissage vis-à-vis de la participation. Mais au sein des administrations, on a aussi besoin de plus de transversalité, de collaboration entre les différents services. Il y a là plein d’intelligences différentes et de compétences à valoriser.

 

Je pense que l’administration publique va évoluer dans ses manières de faire. (…) A l’avenir, il y aura des services de concertation ou de participation communaux

A l’avenir, je pense qu’il y aura des services de concertation ou de participation communaux. Je les imagine comme des équipes pluridisciplinaires, on peut parler même d’hybridation, capables de faire du lien. La méthodologie et les compétences en question sont les mêmes, que ce soit à l’interne ou dans la relation avec les habitants et habitantes. Et on ne peut pas faire de copier-coller d’un quartier à l’autre. Il faut imaginer au cas par cas des démarches sur mesure, discuter, comprendre les contextes dans une logique de gestion par projet. Ces équipes pourraient faire des permanences, rediriger vers les bons services, conduire elles-mêmes des mini-projets, faciliter des projets à l’interne de l’administration, faire arriver les informations au bon endroit et impliquer les bonnes personnes…

 

Un point sur lequel vous êtes plus critique?

 

Un jour, j’ai entendu dire: mais pourquoi ne pas avoir fait une demande d’autorisation, le projet est bon, nous vous l’aurions donnée. Le projet était bon car il avait été pensé en bonne intelligence et avec du bon sens. Pourquoi avoir besoin d’une autorisation (p.ex. pour organiser un repas entre voisins dans l’espace publique), de tant de réglementation? On réglemente trop. Trop de règlementation casse la spontanéité des choses. Si on veut faire de la participation, on doit arriver à simplifier un peu les choses. On nous demande d’être créatifs et innovants, mais toujours dans des cadres étriqués. Même dans la participation. Du coup on se retrouve à toujours travailler avec les mêmes outils. Il fait être créatifs mais tu dois remplir le formulaire b12 et le b13. Et tu ne dois pas changer la typographie. Même dans la participation, qui est un champ encore peu réglementé, il y a parfois déjà trop de cadre.

 

Trop de règlementation casse la spontanéité des choses

 

Le 3DD, c'est l'occasion rêvée de...?

 

De pouvoir échanger des points de vue, de discuter, la possibilité de révéler des angles morts. La critique est très constructive. On critique lorsqu’l’on veut voir ce que l’on aime s’améliorer.. Sinon, on ne se donne pas la peine.

 

On critique lorsqu’on veut voir ce que l’on aime s’améliorer. Sinon, on ne se donne pas la peine

Se poser des questions, voir comment on aurait pu mieux faire, aussi au regard des moyens disponibles pour faire une démarche. Si on avait tous les moyens du monde, ls démarches seraient parfaites. Sur Genève, je trouve que cela a déjà bien évolué par rapport à il y quelques années, on voit de plus en plus de démarches, au niveau du canton mais aussi dans les communes, une nouvelle culture est en train de se développer.

 

Diego Rigamonti est géographe-urbaniste de formation. Il est le président du collectif aidec (https://www.aidec.ch/). Avant de travailler pour la ville de Vernier, il a eu différentes expériences en lien avec la participation, à Genève et à l’étranger, en Allemagne, en Belgique.

Contact : rigamonti_86@yahoo.it

Pour en savoir plus sur le quartier de l’Etang et le Café des Possibles:

 

Cette ressource fait partie du dossier thématique Le pouvoir d'agir.