Urbanisme ouvert ? Massification de l'usage des civic-tech ?
Débuts de réponses à Genève après un an de travail avec une commune du Canton et la participation à l’écosystème d’acteurs du tiers lieu 3DD “Espace de concertation” de l’Office de l’Urbanisme.
Premier article issu d'un entretien entre la Free IT Foundation de Genève et le laboratoire HOST
Entretien réalisé à partir des échanges à l’espace 3DD du Canton de Genève le 7 juin 2019.
La Free IT Foundation de Genève soutient des démarches open source d’intérêt général. Depuis l’été 2018, le HOST Lab, initiateur de la technologie civique Unlimited Cities/Villes sans limite, est accompagnée par la fondation. Son président Lionel Lourdin a questionné Alain Renk, directeur du laboratoire, sur ce qui le fait avancer. Version anglaise parue sur le site du World Urban Campaign UN-Habitat.
Lionel Lourdin : Pourquoi changer l'urbanisme?
Alain Renk : Notre civilisation est confrontée à des défis humains et environnementaux sans précédent. Notre façon de vivre dans le monde, des villages aux métropoles, doit évoluer. La meilleure façon de réussir est de le faire de manière progressive et partagée, en multipliant les projets inspirants. Selon nous, c’est l’efficacité des projets d’urbanisme ouvert, et leur soutien par les citoyens, qui vont aider les autorités politiques à changer l’urbanisme.
L'urbanisme ouvert propose de nouveaux chemins : ses principes conduisent à des approches respectueuses du vivant, à partir du niveau local, pour activer l'intelligence collective. L’urbanisme ouvert donne lieu à des opportunités qualitatives et passionnantes, là où l'urbanisme actuel révèle souvent des blocages et une dilution des responsabilités.
Loin de proposer un entre-soi, la démarche de l’urbanisme ouvert propose un changement de paradigme inspirant à l’échelle planétaire, avec une mise en relation globale de la créativité humaine autour de solutions multipliables à l’infini, car produites à partir de ressources locales et soutenables.
Qu'entendez-vous par civic-tech ? Et pourquoi pensez-vous que les “technologies civiques” doivent nécessairement être open source pour déclencher et accompagner des démarches d'urbanisme ouvert?
La sociologue Saskia Sassen voit dans les technologies Open Source "un ADN qui résonne fortement avec la façon dont les gens font sienne la ville ou urbanisent ce qui pourrait être une initiative individuelle". Les civic-tech sont des techniques d'ingénierie de l'intelligence collective tombant à point nommé pour répondre aux défis humains et environnementaux provoqués par les modes de vie actuels. L'ampleur des problèmes ne doit pas faire peur, car il est possible de changer nos trajectoires de vie plus vite qu'on ne le pense. Il faut cependant agir stratégiquement et utiliser l’effet multiplicateur. C’est possible avec la logique de l'open source qui a pour effet de multiplier l’impact des contributions intéressantes par de véritables réactions en chaîne, parce que basées sur le désir grandissant de participation à des projets d’intérêt général. Ce désir est puissant et est beaucoup plus répandu qu’on ne le croit. Cette force s'évanouit avec les technologies propriétaires.
Nous avons beaucoup appris avec la Free It Foundation. Nous sommes passés d’un certain militantisme à une approche plus rationnelle et plus efficace. Nous avons pris conscience que la force des civic-tech ne vient pas de leurs dimensions numériques, mais plutôt leurs configurations sociales et juridiques. Ce sont ces configurations précises qui favorisent l'émulation pour créer des communautés de contributeurs qui partageront ensuite leurs solutions avec confiance. Cette question est primordiale pour transformer l’urbanisme et aller vers des sociétés plus émancipatrices, où chacun aura une place. Quand des citoyens participent aux réflexions sur la transformation d’un territoire dans de telles configurations, ils deviennent aussi capables d’imaginer les évolutions possibles de leur métier pour demain ou celui de leurs enfants.
Nous avons pris conscience que la force des civic-tech ne vient pas de leurs dimensions numériques, mais plutôt leurs configurations sociales et juridiques. Ce sont ces configurations précises qui favorisent l'émulation pour créer des communautés de contributeurs qui partageront ensuite leurs solutions avec confiance.
Pour faire des approches collaboratives un levier de changement à grande échelle, un moteur “pour changer le monde”, il faut que les contributeurs soient en confiance, mais aussi que les contributions qui produisent des solutions d’intérêt général utiles et reconnues soient “rétributives”. Autant pour l'égo du contributeur que pour son portefeuille.
Avec le choix d'une bonne licence, par exemple la Creative Common BY-SA, l’initiateur d’un design ou d’une méthode reconnue comme utile sera cité. Il développera ainsi sa notoriété et sera bien placé pour vendre des services. L’effet d’émulation continuera, car les contributeurs souhaitant améliorer la solution bénéficieront des mêmes opportunités si leurs propositions sont utiles. Et rien n’oblige à être l’initiateur de solutions pour proposer des services destinés à les appliquer. Les licences open source qui respectent les principes du « copyleft » fondent cette alternative que permet l’économie de la contribution qui a notamment permis à Wikipedia, Mozzilla et Linux de se développer. Avec l’urbanisme ouvert, nous constatons que des concepteurs et des autorités politiques commencent à appliquer cette logique, depuis des villages jusqu’aux grandes villes, et dans le monde entier.
L’open source produit certes des dynamiques contributives, mais est-il possible de faire fonctionner ces dynamiques en dehors du numérique?
Oui, et c'est là que cela devient vite fascinant. Une technologie civique open source diffuse une culture de la contribution qui colore les actions de tous les participants, et pas seulement celles des concepteurs architectes et urbanistes. Lorsque vous êtes dans village pour un projet d’urbanisme ouvert, vous côtoyez non seulement les autorités politiques, mais aussi les agriculteurs, les charpentiers, les menuisiers, les enseignants et les enfants. Et toutes sortes de personnes passionnés par les arbres, par la vie animale, par le sport, par la préservation du patrimoine… Naturellement, sans même vous en rendre compte, vous plongez vos interlocuteurs dans la culture du contributif. Pourquoi alors resteraient-ils prisonniers de méthodes propriétaires qu’ils ne maîtrisent pas ? Pourquoi ne pas plutôt aller chercher des idées dans les banques de solution open source, les améliorer puis diffuser en open source une technique agricole efficace et bonne pour la planète, une façon d'assembler le bois, ce cours pour les enfants qui fait appel à des caméras infrarouges, etc. ? Ce sont ces dynamiques d’excellence que nous commençons à vivre dans le village d’Anières, au bord du lac Léman.
Avec l’urbanisme ouvert, le rôle des collectivités territoriales change progressivement. Deux points sont particulièrement remarquables.
D’abord les autorités politiques perçoivent que leur rôle est moins d'imposer l'intérêt général que de favoriser l’émergence de dynamiques sociales autour de solutions capables de préserver et de développer cet intérêt général. Ensuite, puisque des relations plus proches se mettent en place entre le politique et la société civile, avec des expertises co-construites, il devient logique pour les autorités de veiller à ce que les projets directement portés par le pouvoir politique puissent accueillir des améliorations apportées par la société civile dans leurs programmations, leurs constructions et leurs fonctionnements.
Décrivez-vous des utopies ou des projets réels? Quel est votre parcours?
Nous sommes architectes et urbanistes, sociologues et codeurs informatiques. Nous contribuons à l’urbanisme ouvert à travers un laboratoire à l’origine d'une civic-tech d’intelligence collective visuelle et de concepts collaboratifs. La plupart des membres étant passés par le laboratoire sont également impliqués dans l’ONG 7 Milliards d’Urbanistes qui anime un réseau international d'utilisateurs et de contributeurs autour de cette civic-tech. Nos productions sont libres, avec des licences de type Creative Common BY-SA 4.0 pour les démarches et documentations, compatibles GPL pour les logiciels
Le laboratoire a été rapidement soutenu par des acteurs institutionnels. Le CNRS a financé nos premières recherches sur les “simulateurs d'écosystèmes urbains” en 2007, puis la Commission européenne a financé le développement de logiciels liés à civic-tech Unlimited Cities de 2010 à 2012. Depuis 2018, le laboratoire est partenaire de la Free IT Foundation basée à Genève.
La FNAU, Fédération Nationales des Agences d’Urbanisme publiques françaises a aidé l’ONG pour rencontrer ONU-Habitat lors de la conférence Habitat III à Quito en 2016. Peu de temps après, l’ONG est devenue partenaire associé du World Urban Campaign d’ONU-Habitat. Depuis, elle est l'organisateur principal d'une série "d'Urban Thinker Campus" sous égide d'ONU-Habitat. Le premier a eu lieu à Grenoble en France en 2017, le second à Wuhan en Chine en 2018. Deux sont prévues en 2019, à Shanghai puis Genève.
Quelles sont vos sources d’information, sont elles fiables ? C’est important quand on partage des démarches, quelle confiance peut-on vous faire?
Nos sources d'information sont directes. Elles proviennent soit de projets développés par les membres de l’ONG sur 4 continents, soit de notre laboratoire. Des membres qui appartiennent souvent à des structures ayant un pied dans la recherche académique et dans l’opérationnel, ce qui permet d’éclairer la pratique par le recherche et inversement d’enrichir la recherche par le terrain.
Si chaque cas est différent, des trames communes apparaissent :
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La complexité n'est jamais niée dans un projet d'urbanisme ouvert. La complexité est rendue accessible et fonctionne comme un premier moteur de curiosité pour l'engagement de la société civile sur des questions réelles.
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La créativité de tous est stimulée par l'intelligence collective visuelle produite par la civic-tec que nous utilisons. Cette créativité non élitiste, ludique, porteuse de multiples points de vue ouvre le champ des possibles et complète le travail des experts, c’est le deuxième moteur pour construire l'intérêt de la société civile.
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La tension entre les contraintes du réel et la liberté de l'imaginaire favorise des contributions d’une grande diversité. Cette richesse cognitive conduit les concepteurs à inventer avec la société civile des assemblages uniques pour chaque lieu, loin des solutions standardisées.
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Ces assemblages produisent de nouveaux usages qui introduisent de nouveaux comportements. Ces changements de comportement qui ne sont pas produits sous des contraintes gouvernementales, mais à partir d’échanges entre autorités locales et société civile intègrent comme résultat l’intérêt général et la protection environnementale dans leur ADN.
L'urbanisme ouvert s'adresse à tous les types de territoires. Voir par exemple les illustrations de trois démarches d'urbanisme ouvert lancées en lien la civic-tech Unlimited Cities : dans une mégalopole de 12 millions d'habitants à Wuhan en Chine, dans une ville de 200.000 habitants à Laâyoune au Sud Sahara Maroc ainsi que dans un village de 2.500 habitants comme Anières dans le canton de Genève en Suisse. Voir aussi la vidéo présentée aux habitants d’Anières au début de la démarche. Dans le village d’Anières, la documentation de la démarche d’urbanisme ouvert fait l’objet d’un projet à part entière. Pour l’instant des éléments sont partagés sur le hub 3DD du canton de Genève.
Comment lancer un projet d'urbanisme ouvert quand on a pas d’expérience?
Les membres de l’ONG 7 milliards d'urbanistes sont à votre disposition pour faciliter la création de projets d'urbanisme ouvert, toujours en impliquant des concepteurs de votre territoire afin que les approches soient intégrées dans les écosystèmes locaux.
Parce que les méthodes et les outils numériques supports de la civic-tech Unlimites Cities sont open source et gratuits, parce que le réseau 7 Milliards d’Urbanistes croit en la supériorité de l'intelligence distribuée, votre bureau d’architecture ou d’urbanisme, votre laboratoire de recherche ou votre collectivité sera rapidement autonome.
Questions Lionel Lourdin Free IT Foundation
Réponses Alain Renk HOST Lab 7BU
3DD Espace de Concertation Office de l’Urbanisme
Documentation
Sur l’économie de la contribution
https://contribution.ch/EC1/
Sur la Free IT Foundation
https://freeit.world/
Sur l’approche Unlimited Cities
https://3ddge.org/html/group/32/stream
Sur le laboratoire HOST
https://www.host-lab.org
Sur le réseau 7 Billion Urbanists
www.7billion-urbanists.org
Vidéo partagée avec les habitants et autorités d’Anières
https://vimeo.com/341890730